« DES MÉLANGES POUR DENSIFIER LA RATION DES LAITIÈRES »
Pour mettre à profit les surfaces disponibles, Frédéric Lenglet, dans la Sarthe, a doublé la production laitière de son exploitation en l'espace de cinq ans. Le principal levier utilisé : la récolte de fourrages de qualité et en quantité.
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LORSQUE FRÉDÉRIC LENGLET REPREND SEUL LA FERME de ses parents en 2010, il a déjà des projets d'évolution. « Nous avions récupéré 30 ha près de la stabulation en 2008 que mes parents, proches de la retraite, valorisaient très peu pour leur troupeau laitier, explique-t-il. Grâce aux conseils apportés lors de mon suivi JA, je savais déjà que la ferme pouvait accueillir 100 vaches à 6 000 litres au lieu de 60 vaches à 5 100 litres, comme c'était le cas. De plus, avec la nouvelle Pac, j'allais perdre 20 % de mon EBE. » Les dérogations JA ont été l'occasion pour Frédéric de changer l'assolement des 142 ha de l'exploitation. « Quand on dispose de l'équipement, il est plus intéressant de faire du lait bio que des cultures, estime-t-il. Avant, pour compenser le manque de quota par rapport à la surface, nous faisions des céréales. Mais les rallonges de quotas, puis de références, par ma laiterie Biolait, font qu'en 2016, j'ai un droit à produire de 700 000 litres. »
« MES TERRES PRODUISENT TOUT LE TEMPS QUELQUE CHOSE »
Pour Frédéric Lenglet, cette évolution passe d'abord par l'alimentation. « Mon objectif est d'intensifier la production de fourrages, tout en augmentant la taille du cheptel et la production laitière. Cela passe par des terres productives tout au long de l'année avec du rendement et de la qualité pour supprimer le correcteur azoté. Je veux maximiser le pâturage. Même si les sols sont peu portants (argilo-calcaires et argilo-limoneux sur grès), ils sont bons. » L'exploitation dispose d'un atout non négligeable : 110 ha sont pâturables directement à partir de la stabulation. « En bio, nous avons besoin de faire tourner les parcelles de culture, souligne Frédéric. Sinon, il y a beaucoup d'adventices, les sols s'appauvrissent et leur structure se dégrade. Le résultat est qu'on se retrouve avec des champs peu productifs et des prairies moins performantes. Certes, on stocke du carbone, mais on ne l'utilise pas. » Frédéric a donc opté pour des rotations de quatre à cinq ans en prairie, une année de maïs, une année de céréale à paille (5 ha de semences de féverole, de triticale et de pois fourrager, et 10 à 15 ha de mélange céréalier à battre), et une année de mélange protéagineux à ensiler, semé sous couvert de prairie. « J'essaie de faire des rotations sur toutes les parcelles (sauf 25 ha non retournables), y compris celles près de la stabulation. Ça me permet d'assurer le rendement en maïs (12 tonnes par hectare en moyenne) et en céréales, et d'avoir des prairies productives. Je n'ai jamais eu de mauvaise année depuis mon installation, hormis une sécheresse de printemps en 2011 qui avait fait des dégâts sur les pâtures. » Le mélange céréalier à battre, semé début novembre sur 10 à 15 ha, est composé de 55 graines/m2 de triticale, 30 graines de féverole, 25 graines de pois protéagineux Dove et 5 graines de pois fourrager.
« JE FABRIQUE LA MAJORITÉ DE MES SEMENCES »
« Les aides "protéagineux" de la Pac compensent en partie le coût élevé des semences, rapporte Frédéric. Mais ce n'est pas durable. Je cherche à établir un système solide et peu dépendant. C'est pour cela que je produis la majorité de ces semences. » La récolte du mélange céréalier réalisée fin juillet-début août permet d'obtenir entre 40 et 45 q/ha riches à 22,88 % de protéines et 39,78 % d'amidon. « Ce concentré de protéines constitue un correcteur azoté fermier. Il me fait économiser entre 1 et 1,5 kg de soja bio par jour et par vache en ration d'hiver. » Un mélange protéagineux est semé sous couvert de prairie sur une dizaine d'hectares pendant la première quinzaine d'octobre avec, par hectare, 60 kg de féverole, 60 kg de pois fourrager, 15 kg d'avoine d'hiver et 15 kg de vesce commune d'hiver. Mi-mai 2015, près de 7 tonnes de matière sèche ont été récoltées par hectare et ensilées entre deux couches d'ensilage d'herbe bien sèche pour tamponner l'excès d'humidité dû à la féverole. « Lors de la distribution à la fin de l'été, j'ai remarqué une bonne réaction au tank !, se félicite Frédéric. En revanche, dans la rotation, je ne veux pas enchaîner sur du maïs car le mélange protéagineux est récolté tard. Le manque d'eau, courant en Sarthe, pénaliserait trop le maïs et j'en ai besoin. Ici, il faut le semer autour du 5 mai si on ne veut pas qu'il manque d'eau à la floraison. »
Après la récolte du mélange protéagineux, les prairies mises sous couvert prennent place. Leur rendement est assuré par une diversité d'espèces qui se complètent : 20 kg de ray-grass anglais (un tiers de tétraploïde demi-tardif, un tiers de diploïde demi-tardif et un tiers de diploïde tardif), 3 kg de trèfle blanc (un tiers d'intermédiaire, un tiers de géant et un tiers de nain), 2 kg de trèfle hybride Dawn, 3 kg de trèfle violet, 3 kg de ray-grass hybride orienté anglais, 2 kg de ray-grass italien, 2 kg de chicorée fourragère, 2 kg de plantain Cérès tonic et 2 kg de dactyle.
« TANT QUE J'AI DE LA PÂTURE, JE N'AI PAS BESOIN DE CORRECTEUR ! »
« Cela donne du fourrage poussant tout au long de la saison potentielle de pâturage, détaille Frédéric. Le semis coûte cher mais sécurise la saison de pâturage et donne beaucoup de lait. » Chaque espèce a son intérêt. Par exemple, la chicorée, grâce à son réseau racinaire, pousse même en période de sécheresse et structure les sols. Quand le dactyle devient trop présent, la rotation enchaîne sur du maïs. Pour atteindre la meilleure qualité possible, Frédéric est très attentif aux conditions d'ensilage. « Il faut une herbe pas épiée, bien riche et feuillue. Le chantier doit être réalisé dans de bonnes conditions météo pour obtenir un ensilage riche en énergie et en protéines. Mon système est dépendant de la production d'herbe, d'où l'utilisation de prairies multi-espèces pour sécuriser les rations. »
L'hiver, la ration des vaches laitières se compose de 6,8 kg de matière sèche d'ensilage de maïs, 3,75 kg de MS d'ensilage d'herbe (ray-grass hybride, trèfle violet, dactyle et luzerne), 3,75 kg de MS de mélange protéagineux ensilé, 3 kg de MS de foin de prairie permanente pour les fibres et pour répondre aux besoins énergétiques et protéiques, 2 kg de MS de mélange céréalier battu, 1 kg d'une farine grossière de triticale et pois, et 800 g de correcteur azoté. Cette ration complète, distribuée au bol mélangeur, est équilibrée pour une production de 25 kg. « Tant que j'ai de la pâture, je n'ai pas besoin de correcteur azoté », se félicite Frédéric. Grâce à l'emploi d'aliments produits sur la ferme, son utilisation a été réduite par trois : 500 à 800 g/j/VL en 2015 contre 2 à 2,5 kg/VL en 2009.
« IL FAUT S'ADAPTER À L'AUGMENTATION DE LA PRODUCTION »
« Ce n'est pas grand-chose, mais ces 500 à 800 g font gagner 2 à 3 kg de lait supplémentaires par vache. Ils sont bien valorisés et donc rentables. Quand j'aurai atteint mon objectif de qualité d'ensilage d'herbe, je pense me passer de correcteur azoté. »
En parallèle, la production par vache a augmenté et les taux se sont améliorés. Le TB est passé de 39,39 à 41,27, et le TP de 32,77 à 33,29 entre 2013 et 2015. Cela a compensé la diminution du prix de base du lait. Dès l'acquisition de 75 000 litres de quota en 2010, les bâtiments étaient saturés avec seulement 62 logettes paillées et 45 places à l'auge. « L'extension construite en 2011 apporte 50 logettes et 100 places à l'auge supplémentaires, détaille Frédéric Lenglet. J'ai assuré le coup car je savais qu'un jour, je pourrais monter à 600 000 litres. La stabulation construite en 2000 était devenue trop petite au bout de dix ans. Je ne voulais pas refaire la même erreur. » En 2013, la salle de traite a été refaite pour passer d'une 2 x 5 double équipement à une 2 x 20 simple équipement. « Je ne voulais pas viser trop petit car je savais que j'allais être juste en main-d'oeuvre, se souvient Frédéric. Mais si c'était à refaire, je prendrais une 2 x 14 car la préparation est trop longue et les vaches s'impatientent. Le temps gagné à la traite est passé à nettoyer les bouses. Au final, heureusement que j'avais refait la salle de traite et la stabulation en amont. Sinon, je n'aurais pas été capable d'accepter les 100 000 litres de référence proposés par Biolait en 2015 pour m'adapter à la nouvelle Pac », explique Frédéric.
ÉMILIE AUVRAY
La production des vaches de Frédéric Lenglet est passée de 5 100 litres par vache à près de 7 000 litres grâce à la valorisation des terres de l'exploitation. © E.A.
Le mélange protéagineux semé à l'automne 2015 est vite monté avec la météo douce de cet hiver (photo prise mi-novembre). « Les ray-grass d'Italie et hybride prendront le relais de la féverole si celle-ci ne passe pas les gelées de cet hiver », se rassure Frédéric. © E.A.
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